Ce film n'est plus à l'affiche
Rien de Personnel
Critique :
Kaléidoscope grinçant
Avec habilité et application, Gokalp fait évoluer le récit en répétant les mêmes scènes selon différents points de vue qui, additionnés, éclairent la démarche quant à la réalité coriace du monde du travail, telle qu'elle s'exprime dans bien des entreprises. (...) Instructif.
par
Libération
(...) une dimension à la fois ludique et expérimentale (...)
La marche quelque peu claudicante du capitalisme mondial fournit au cinéma, qui n'a pas attendu la crise pour s'y intéresser, de sérieux arguments pour s'intéresser de près au monde de l'entreprise. Sans remonter au premier film de l'histoire du cinéma (La Sortie des usines Lumière, 1895), on peut du moins commencer à dresser une petite typologie des fictions contemporaines dédiées au sujet, du film d'auteur documenté (Ressources humaines, de Laurent Cantet) à la comédie vengeresse (La Très Très Grande Entreprise, de Pierre Jolivet), en passant par la bombe satirique (Louise Michel, de Gustave Kervern et Benoît Delépine). Ces trois réussites, parmi d'autres, sont autant de réponses à l'embarras théorique qui consiste à marier de la fiction (c'est-à-dire du plaisir, du romanesque et de la justesse) avec un sujet a priori aussi rébarbatif et sensible (pénibilité, injustice, ennui...)
Rien de personnel apporte à ce tableau une nuance supplémentaire, qui consiste à rabattre le monde du travail sur les mécanismes d'une fiction paranoïaque. Soit un huis clos en forme de salon de réception, où la société Muller, en passe d'être vendue à un repreneur, organise pour ses employés une réception dont le but secret consiste à les évaluer afin de déterminer lesquels d'entre eux seront victimes de la nécessaire réduction des effectifs exigée à cette occasion. Une équipe de coaches est ainsi officiellement lâchée dans la fête, pour de pseudo-exercices, auxquels les employés, alarmés par la rumeur de revente qui a filtré, se prêtent non sans anxiété. A ce climat de terreur sourde, Mathias Gokalp ajoute un dispositif narratif qui brouille les pistes sous le signe de la duplicité et du faux-semblant. Reprenant plusieurs fois les mêmes séquences en variant les points de vue, il transforme son film en une angoissante comédie de dupes qui ne révèle qu'en cours de route la véritable identité de ses personnages. Cela confère à Rien de personnel une touche pour le coup très personnelle, à laquelle les acteurs sont évidemment invités à participer dans une sorte de mise en abyme de leur propre métier, qui consiste à se mettre constamment dans la peau d'un autre.
On s'y pose par conséquent de drôles de questions : Darroussin incarne-t-il ici un ignoble coach ou un petit employé terrorisé ? Podalydès un délégué syndical ou un social-traître ? Greggory un grand patron ou un chanteur lyrique ? Tout cela confère à ce film assez étrange une dimension à la fois ludique et expérimentale, qui renvoie comme dans un miroir déformant les impitoyables techniques mises au point dans le laboratoire industriel aux fins de gestion humaine.
par
Le Monde